La réclamation client, une chance pour les entreprises
Maxime Santilli (Sqwad) : “Peux-tu nous en dire un peu plus sur les enjeux aujourd'hui de la réclamation client pour les entreprises ?”
Marie-Louis Julien (AMARC) : “Ce que nous avons pu voir dans le cadre de l'association à travers de nombreux travaux, c'est que la réclamation est surtout et réellement une opportunité.“
Les enjeux liés à la réclamation client sont aujourd’hui bien plus stratégiques qu’il n’y paraît. Longtemps perçue comme un mal nécessaire, voire comme une crise à gérer, la réclamation devrait désormais être considérée par de nombreuses entreprises comme une réelle opportunité. Comme l’explique Marie-Louis Julien: “Beaucoup abordent encore la réclamation dans une posture défensive” alors qu’en réalité, c’est une vraie chance de progresser en comprenant mieux les dysfonctionnements.
La réclamation permet donc aux entreprises d’identifier leurs points de friction, de mieux comprendre les attentes de leurs clients et, dans certains cas, d’aller jusqu’à l’innovation. Elle constitue également un levier de transformation interne en bousculant les routines et en diffusant la voix du client au sein des équipes.
C’est aussi un enjeu économique majeur. La fidélisation client et la recommandation sont devenues centrales dans les stratégies de croissance. “Ce qu’on souhaite, ce n’est pas juste un client satisfait, mais surtout un client fidèle (...) ce qu’on veut c’est un client qui recommande”, rappelle notre expert.
Enfin, il est important de noter que les Français réclament peu par rapport à d’autres pays occidentaux. Ce qui n’est en vérité pas une bonne chose. Cela signifie que lorsqu’un client prend le temps de faire une réclamation, il exprime une insatisfaction précieuse, à ne surtout pas négliger. D’où l’importance de mettre en place des moyens et de viser une amélioration continue pour garantir la satisfaction client.
Maxime Santilli (Sqwad) : “Et donc, selon toi, les entreprises avec qui tu travailles, sont-elles dans une démarche proactive où est-ce un sujet qui comme tu l'évoquais qui est un petit peu mis de côté ?”
La maturité des entreprises face à la réclamation client est très variable. Certaines sont encore en phase de découverte et viennent chercher des repères, des outils, voire une culture de la réclamation à construire. D’autres, au contraire, sont déjà très avancées et souhaitent affiner leurs pratiques ou en tirer davantage de valeur.
Comme le souligne Marie-Louis Julien : « Certains viennent parce qu’il y a tout à mettre en place, et d’autres ont déjà une maturité forte et cherchent à ajuster, affiner. » Cette hétérogénéité se reflète d’ailleurs dans une typologie identifiée par l’association lors d’une étude, où un quart des entreprises étudiées étaient qualifiées « d’alchimistes » : elles ont en commun une approche très proactive de la réclamation et une culture partagée en interne autour de ce sujet.
Selon lui, « le point de convergence entre ces entreprises les plus avancées, c’est tout simplement d’avoir une définition claire de ce qu’est une réclamation ». Ce qui peut sembler basique, mais qui reflète une vraie maturité culturelle. Ces entreprises cherchent la réclamation, non pas pour se défendre, mais pour progresser, fidéliser, et diffuser la voix du client dans tous les services : marketing, finance, RH, direction générale…
Si la réclamation n’est pas toujours une priorité, pour les organisations les plus engagées à ce niveau, elle devient un levier stratégique transversal.
Les bonnes pratiques de la réclamation client
Maxime Santilli (Sqwad) : “Que pourrais-tu nous partager concernant les bonnes pratiques à mettre en place ?”
Marie-Louis Julien (AMARC) : “Le fait de définir justement, c'est un signal extrêmement fort qui est lancé à l'ensemble de l'entreprise, que finalement une réclamation c'est quelque chose de normal.”
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L’une des premières bonnes pratiques à adopter en entreprise est étonnamment simple, mais fondamentale : définir ce qu’est une réclamation. Cela peut sembler anodin, et pourtant, selon Marie-Louis Julien c’est le b.a-ba. Cela signifie qu’on assume de ne pas être parfait, et qu’on normalise l’existence de l’insatisfaction client, ce qui désamorce en grande partie la peur autour du sujet.
En posant une définition claire, partagée entre les différents départements, on pacifie le sujet. La réclamation client cesse d’être perçue comme une attaque ou une sanction, et devient une information utile pour progresser. « Cela facilite la remontée des réclamations, et permet d’être moins stressé à l’égard de ce client insatisfait », explique-t-il.
C’est aussi une excellente opportunité pour rassembler les équipes autour d’une vision commune. Marketing, produit, service client, direction : tous peuvent contribuer à cette définition, qui reflètera ensuite la culture propre à l’entreprise. Et comme le rappelle Marie-Louis, intervenir tôt dans le traitement d’une insatisfaction, c’est comme éteindre une allumette plutôt qu’un incendie : plus on agit vite, plus c’est simple et efficace.
Enfin, cette démarche permet également une vraie exploitation des comportements clients. Elle offre un retour concret et humain, loin des simples statistiques. Une mine d’or pour améliorer l’expérience client et faire évoluer l’offre.
Comment définir une réclamation client ?
Maxime Santilli (Sqwad) : “Est-ce que tu pourrais de façon assez simple définir ce que c'est que la réclamation ou du moins comment tu l'introduirais dans une entreprise qui chercherait à définir ce mot ?”
Marie-Louis Julien (AMARC) : ”C’est l’expression d’une insatisfaction qu’un client attribue à une entreprise insatisfaction avec l’attente d’une prise en compte et la non-récidive”.
Définir ce qu’est une réclamation peut sembler évident, mais c’est en réalité une étape fondatrice. À l’AMARC, cette définition a été posée il y a déjà plus de 15 ans. Simple et concrète, elle permet d’ancrer le sujet dans le quotidien des équipes.
Mais au-delà des mots, l’enjeu est de construire une définition partagée. Pour cela, Marie-Louis Julien recommande d’engager le dialogue en interne : “Rien que d’organiser, formellement ou non, des tables rondes pour se poser la question : ‘Pour toi, c’est quoi une réclamation ?’ permet de révéler les différences de perception entre services, métiers ou secteurs.” Ces échanges enrichissent la réflexion collective et préparent le terrain pour une approche cohérente.
Enfin, il est essentiel que la définition soit portée au plus haut niveau de l’entreprise. Lorsqu’un dirigeant s’implique personnellement dans le sujet – en rappelant un client ou en accompagnant les équipes sur le terrain – cela donne du poids à la démarche et incarne l’importance accordée à l’écoute client. Comme le dit Marie-Louis : “Quand un DG veut, généralement Dieu veut.”
Réclamation client : un investissement rentable, pas un centre de coût
Maxime Santilli (Sqwad) : “Comment selon toi, que ce soit directement en téléopérateurs ou même une stratégie d'entreprise, comment peut-on répondre à cette réclamation et la transformer derrière en générateur de valeur et peut être d'augmenter la fidélité ?”
Répondre à une réclamation ne se limite pas à « traiter un problème ». C’est un moment clé de la relation client, un point de bascule où l’on peut soit perdre définitivement un client, soit le transformer en ambassadeur. Comme le souligne Marie-Louis Julien :
« La réclamation, c’est vraiment le moment de vérité, où le client va éprouver physiquement si, oui ou non, (...) la promesse de vente va se réaliser. »
Dans ces moments-là, le client n’attend pas seulement une solution rapide : il cherche des signes tangibles que l’entreprise le respecte et le prend au sérieux. Il faut donc répondre de manière humaine, transparente et structurée. Une bonne pratique consiste à donner au client un maximum de visibilité sur le traitement de sa réclamation :
« Il ne s’agit pas forcément de répondre vite, mais de montrer au client que sa demande a été lue, comprise, et qu’elle est en cours de traitement, avec un délai clair et une personne identifiée », explique Marie-Louis.
Concrètement, cela peut se traduire par :
- Un accusé de réception personnalisé, qui reformule la situation du client.
- Un engagement de réponse dans un délai précis, par exemple sous deux semaines.
- L’attribution d’un interlocuteur unique avec ses coordonnées directes (téléphone ou mail), pour établir une vraie relation de confiance.
Ce type de démarche apaise le client, renforce sa perception de l’entreprise et lui évite de devoir relancer sans cesse. C’est aussi une manière d’incarner la marque, en faisant preuve d’écoute, de proximité et de responsabilité. Ce positionnement, parfois qualifié de « marque ange gardien », repose sur une idée simple : protéger le client dans sa relation à la marque, même (et surtout) quand il rencontre un problème.
Maxime Santilli (Sqwad): “Comment on peut auprès des directeurs de la relation client ? Mettre en avant le fait que oui, le service client et le service réclamation ont un coût, mais il est également générateur potentiellement de chiffre d'affaires ?”
Marie-Louis Julien (AMARC) : “Ce qu’il faut c’est faire cette démonstration sur le sujet de la réclamation client. Et bonne nouvelle, il existe !”
Il est essentiel de démontrer aux directions que le service réclamation ne doit pas être vu comme un simple centre de coût, mais bien comme un levier économique puissant. Cette démonstration existe, et elle repose sur des travaux concrets, menés notamment par les chercheurs William Sabatier et Daniel Rey, qui ont développé un modèle permettant de mesurer l’impact de la gestion des réclamations sur le comportement client : fidélité, recommandation, panier moyen…
Notre spécialiste résume ainsi l’enjeu : « Il suffit juste de prendre soin de la réclamation de vos clients, et vous avez un levier important. »
Quel est un exemple de réclamation client ?
Marie-Louis Julien prends l’exemple de la Compagnie des Alpes : en analysant les parcours de clients insatisfaits, on observe que ceux qui ont formulé une réclamation, reçu une réponse, et surtout été satisfaits de cette réponse, affichent un NPS supérieur de 20 points à celui des clients n’ayant rencontré aucune insatisfaction. « C’est bête comme chou », commente Marie-Louis, mais les résultats sont là : une réclamation bien traitée a plus d’impact positif qu’un parcours sans accroc.
Même constat chez Décathlon, où les clients ayant vécu une insatisfaction, émis une réclamation et reçu une réponse satisfaisante présentaient un panier moyen supérieur de plusieurs dizaines de pourcents par rapport à la moyenne.
En somme, une entreprise qui répond avec justesse et transparence transforme un moment de friction en un acte de réassurance. Le client en ressort renforcé dans sa confiance, il est plus enclin à consommer de nouveau et à recommander la marque. C’est là que le service réclamation devient non seulement un outil de fidélisation client, mais aussi un vecteur direct de performance économique.
L’humain et l’IA : un duo indispensable pour la gestion des réclamations
Maxime Santilli (Sqwad): “Est-ce que tu peux nous partager quelques bonnes tendances (...) que tu pourrais mettre en avant et à prendre en compte pour pouvoir toujours être dans une démarche en faveur du client ?”
Marie-Louis Julien (AMARC) : “Je pense que le vrai sujet est culturel, c’est comment ne pas perdre le client de vue.”
Plus qu’une tendance ponctuelle, ce qui compte vraiment, c’est l’ancrage culturel : comment maintenir au quotidien une posture orientée client, dans la durée. Il ne s’agit pas d’une transformation à faire une fois pour toutes, mais d’un effort constant. Marie-Louis Julien cite Nicolas Courgeau (MAIF) qui lui disait : “Il n’y a pas un jour où il ne faille pas se battre pour ne pas perdre de vue le sociétaire dans l’entreprise.”
Cette vigilance permanente est essentielle pour éviter ce qu’elle appelle un éloignement insidieux : plus un collaborateur monte dans la hiérarchie, plus il est souvent éloigné du terrain, et donc du client.
« Dans pas mal de boîtes, aller au contact du client, c’est vu comme un signe d’échec. Si t’as le client en direct dans ton téléphone, c’est que t’as pas réussi. »
Face à ça, certaines entreprises mettent en place des rituels simples mais puissants. Par exemple, à la MAIF, des petits déjeuners mensuels ouverts à tous les collaborateurs intéressés par la voix du client ont été mis en place. Autour d’un café, ils peuvent partager des cas, des témoignages et remettre le client au centre des discussions. Ce type de dispositif contribue à entretenir une culture client vivante et incarnée.
Finalement, la meilleure tendance à suivre, c’est de ne jamais considérer l’orientation client comme acquise. Cela passe par :
- des espaces réguliers de dialogue autour de la satisfaction client ;
- une exemplarité managériale dans l’écoute active et la proximité client ;
- et une remise en question continue de ses pratiques.
C’est cette posture de vigilance qui permet, dans le temps, de vraiment faire la différence.
Maxime Santilli (Sqwad): “Ça fait des années que tu accompagnes des marques et des entreprises sur ces sujets-là. L'IA intervient chez les BPO comme Sqwad ou encore chez les annonceurs. Il y a bien sûr une part humaine dans la relation client et dans la réclamation. Qu'est-ce que tu penses de ce mix ? Est-ce que tu te positionnes sur certaines tendances ?”
L'IA s’invite de plus en plus dans la relation client. Pourtant, comme le souligne Marie-Louis Julien, “ce qui est important, c’est de ne pas oublier que la main de l’autre a une vraie utilité, une nécessité pour le client”. En d’autres termes, même si l’IA est un outil puissant qui irrigue aujourd’hui de nombreuses activités, la dimension humaine reste essentielle, notamment dans la gestion des réclamations clients..
Marie-Louis rappelle aussi une vérité simple mais forte : “On sait que plus de 80 % des clients veulent, en situation de réclamation, un humain, et idéalement la même personne du début à la fin”. Ce désir d’un contact personnalisé et authentique ne peut pas être remplacé totalement par l’intelligence artificielle.
Le vrai défi, selon lui, est d’utiliser l’IA comme une aide pour les collaborateurs, en les accompagnant par la formation et la montée en compétences, afin qu’ils apportent une satisfaction supérieure à ce qu’un robot peut offrir. Il explique : “Si nos équipes ne sont pas en capacité de délivrer une satisfaction plus élevée que l’intelligence artificielle, c’est un signal fort qu’il faut revoir notre accompagnement.”
Ainsi, le mix idéal est un équilibre où l’IA vient soutenir et optimiser le travail humain, sans jamais le remplacer totalement, surtout là où l’empathie et la relation de confiance sont indispensables.
Maxime Santilli (Sqwad): “Est ce que tu peux nous partager un conseil que tu donnerais à certaines entreprises qui seraient frileuses sur ce sujet de réclamations ?”
Marie-Louis Julien (AMARC) : “Si votre quête, c'est de développer votre entreprise vers plus, d'aller plus de performance économique et plus de transformation, la réclamation est probablement un levier.”
Trop souvent perçue comme un irritant ou une contrainte, la réclamation est en réalité une source précieuse de proximité et d’authenticité avec le client.
L’expert insiste : “Par définition, la réclamation, c’est authentique et c’est de la proximité.”
Et c’est justement ce que recherchent les consommateurs aujourd’hui : des marques capables d’écouter, de reconnaître leurs erreurs, et de transformer un irritant en opportunité de relation.
Pour Marie-Louis, il est donc temps de changer de regard : la réclamation n’est pas un mal à gérer, c’est un gisement sous-exploité pour créer de la valeur et renforcer la confiance client.