Dans un secteur en pleine mutation, les défis et opportunités à venir
Maxime Santilli (Sqwad) : “Caroline, Quelles sont les grandes évolutions que le secteur doit prévoir pour les cinq ou dix prochaines années ?”
Caroline Adam (SP2C) : “On a dans nos métiers une composante essentielle, c'est l'humain. Donc on va avoir des questions qui se posent en termes de recrutement, de fidélisation. Ce n'est peut être pas tout à fait les mêmes profils que l’on va recruter.”
Pour Caroline, la composante essentielle du métier est l’humain. C’est donc autour de lui que vont s’articuler les nouvelles mutations et plus précisément au niveau du recrutement et de la fidélisation. En effet, les profils recherchés évoluent, tout comme l’offre de services proposée. Il ne s’agit plus simplement d’affecter des équivalents temps pleins (ETP) en réponse à une demande, mais de concevoir une solution globale intégrant des enjeux technologiques majeurs.
Travaillant avec divers secteurs d’activité – assurance, luxe, énergie –, les professionnels des centres de contact analysent les spécificités de chaque domaine et exploitent ces connaissances pour optimiser l’expérience client. Cette approche permet de tester et d’adapter les meilleures pratiques d’un secteur à l’autre, faisant ainsi émerger un rôle d’intégrateur de solutions et d’expert en relation client.
Le secteur connaît une transformation profonde, portée notamment par l’intelligence artificielle. Son intégration soulève plusieurs questions : pourquoi et comment l’adopter, quel en est le coût, et surtout, quel retour sur investissement en attendre ? Trouver le juste équilibre entre technologie et humain est un défi clé dans cette mutation.
Malgré les nombreuses prédictions annonçant la fin du secteur avec l’essor du selfcare ou des chatbots, la réalité est tout autre. Bien au contraire, la diversification des canaux d’interaction accroît la demande d’expertise en relation client. « De plus, la France externalise encore peu ces services, comparé à d’autres pays en Europe (…) ou aux États-Unis. On a donc encore un beau terrain de jeu à développer », ajoute Caroline.
Recrutement et formation : construire l’expertise de demain de la relation client
En tant que présidente du SP2C, Caroline Adam compte bien faire évoluer les mentalités quant à l’image du conseiller client qui souffrait d’un déficit dans le secteur. Grâce à une étude réalisée chaque année avec EY (Ernest & Young), ils peuvent démontrer leur impact social et valoriser leur image : « Non, ce n’est pas un job étudiant, on a effectivement 75 % de CDI, on a tous types de profils, on a tout type de diplôme. Donc, on est vraiment représentatif de tous les niveaux de qualification ».
Cette étude met également en lumière un fait marquant : le métier de conseiller client constitue un véritable tremplin professionnel. Après seulement deux ans d’expérience, plus de 280 débouchés sont possibles. Les compétences acquises – qu’il s’agisse de la maîtrise des produits et services, du discours commercial, de la posture relationnelle ou encore des nouvelles technologies – ouvrent de nombreuses perspectives d’évolution.
L’essor des innovations technologiques, et notamment de l’intelligence artificielle, joue un rôle clé dans cette transformation. Ces avancées permettent non seulement d’optimiser la relation client, mais aussi d’attirer et de fidéliser des profils qui, spontanément, ne se seraient peut-être pas tournés vers ce secteur. L’IA devrait ainsi créer à son tour des opportunités inédites. Si certains nouveaux postes verront le jour, d’autres évolueront pour s’adapter aux exigences du marché.
Dans ce contexte, l’accompagnement et la formation des collaborateurs restent essentiels.
L’intelligence artificielle et la relation client vont-elles de pair ?
Maxime Santilli (Sqwad) : “Selon toi, ce que l’on doit à l'IA est-il suffisamment exploité par les entreprises pour pouvoir répondre aux enjeux des annonceurs ?”
Caroline Adam (SP2C) : “Le constat que moi je fais en tout cas sur le marché, c'est qu'il y a eu beaucoup de promesses, mais les résultats sont là. Sur certaines parties du processus.”
Des clients toujours plus exigeants, un défi permanent
La gestion de la relation client est sans doute l’un des secteurs les plus avancés en matière d’intégration de l’intelligence artificielle. Cependant, elle nuance en expliquant que l’IA ne remplace pas l’humain, mais constitue plutôt « une aide au conseil client », offrant un gain de temps incontestable. L’objectif est d’optimiser l’efficacité sans sacrifier l’expérience humaine.
Dans ce contexte, les annonceurs doivent faire face à des consommateurs de plus en plus exigeants, réclamant à la fois rapidité et qualité de réponse. La multiplication des canaux de communication est devenue essentielle, souligne Caroline. En effet, une interaction sur un groupe WhatsApp de marque ne suit pas les mêmes codes qu’un échange téléphonique, tout comme un message sur Twitter ne s’écrit pas de la même manière qu’un post sur LinkedIn. La personnalisation des interactions est donc un enjeu clé pour garantir la satisfaction client.
Cependant, pour maintenir une cohérence dans les échanges, il est primordial que les marques définissent des lignes directrices claires en termes de ton et de discours. L’image véhiculée doit être uniforme sur tous les canaux, tandis que les spécialistes de l’externalisation de la relation client (BPO) apportent leur savoir-faire technique pour adapter chaque message au bon support.
L’essor du multicanal a ainsi profondément transformé le métier de conseiller client. « Le conseiller client, ce n’est pas que le téléphone, contrairement aux idées reçues », rappelle Caroline. Aujourd’hui, la gestion des emails, des messageries instantanées et des réseaux sociaux nécessitent des compétences spécifiques. Chaque canal exige un niveau de réactivité et un savoir-faire distinct, renforçant la valeur ajoutée des BPO, qui permettent d’optimiser l’expérience client en garantissant des interactions adaptées à chaque situation.
L’émotion, l’atout indispensable de l’humain
L’émotion demeure un élément central de la relation client, un aspect que l’intelligence artificielle ne peut remplacer. Caroline illustre ce point avec l’exemple frappant d’Estelle Perry, qui fait essayer une Alpine à certains BPO « pour que lorsqu’ils en parlent, ils aient l’émotion ». Le Club Med adopte la même approche en permettant à ses conseillers de tester les services qu’ils vendent, afin qu’ils puissent répondre aux questions des clients avec authenticité et transmettre une véritable émotion.
Les consommateurs recherchent une expérience authentique avec des relations personnalisées et des échanges sincères avec les marques. Leurs attentes sont primordiales. Or, malgré ses avancées, l’IA n’a pas encore la capacité de reproduire cette connexion émotionnelle. C’est pourquoi l’humain reste un maillon essentiel du secteur, garant de l’engagement, de la fidélisation et de la satisfaction client.
Les modèles hybrides (télétravail / présentiel) sont-ils désormais la norme ?
Maxime Santilli (Sqwad) : “Que penses-tu des modèles hybrides ? Nous sommes souvent face à des questions sur ce sujet là car nos clients nous posent des questions concernant la sécurité”.
Caroline Adam (SP2C) : “Je n’aurai certainement pas eu le même discours avant la crise sanitaire puisqu'on était pas dans un modèle hybride (...) On a encore démontré notre agilité. En une semaine, on s'est tous retrouvés en télétravail. C'est un grand combat du SP2C”.
Avant la crise sanitaire, Caroline souligne que son discours aurait sûrement été différent. Pourtant, cette période a prouvé l'agilité des entreprises. Aujourd’hui, le télétravail représente au sein de son organisation deux à trois jours par semaine, et un retour en arrière lui semble impensable.
Cependant, elle insiste sur le fait qu’il n’existe pas de « recette magique » applicable à tous. Le bon équilibre dépend du modèle d’industrialisation, des méthodes de transmission de formation et du niveau de qualité attendu. Chaque BPO doit donc ajuster son organisation, d’autant plus que proposer un minimum de travail à distance parait dorénavant presque incontournable.
Sqwad en est un bon exemple grâce à son modèle hybride, où des agents travaillent en télétravail tandis que des équipes encadrantes sont présentes sur site, réparties sur plusieurs sites en Europe et au-delà. Ces équipes sont notamment basées en France, Espagne, Portugal, Royaume-Uni, Allemagne, et Canada, offrant ainsi un modèle multi-sites efficace qui répond aux attentes du marché mondial.
Au-delà des aspects organisationnels, le facteur humain reste central. Le client attend la même qualité d’échange, que le conseiller soit en télétravail ou en présentiel. Or, le travail à distance pourrait même renforcer ce lien, en améliorant le bien-être des collaborateurs.
Alors, le modèle hybride est-il devenu la norme ? Pour Caroline, la réponse est sans appel : « Le modèle hybride, je pense qu'il est décisif aujourd'hui pour recruter, mais aussi auprès des clients finaux pour pouvoir bénéficier d'une expérience client de la meilleure qualité qu'elle soit ».
Réglementations, IA et environnement : les nouveaux défis des BPO et annonceurs
Maxime Santilli (Sqwad) : “Quels sont les enjeux dans les prochaines années concernant la réglementation auprès des dépôts et également auprès des annonceurs qui veulent internaliser les activités ?”
Caroline Adam (SP2C) : “Moi je dirai qu’aujourd’hui en 2025 il y a deux enjeux prioritaires (...), la prospection (...) la régulation de l’IA au niveau européen (...) et un troisième enjeu : l’impact environnemental”.
En 2025, deux enjeux réglementaires majeurs impactent la BPO et les annonceurs. Le premier concerne la prospection commerciale, et bien que cela ne touche pas toutes les entreprises, il reste essentiel pour celles dont l'acquisition de nouveaux clients repose sur le démarchage téléphonique. « On a une vraie attaque sur le démarchage téléphonique », explique Caroline Adam. Désormais, la prospection à froid sera interdite : si aucune relation commerciale préalable n’a été établie, par exemple via un comparateur d’assurance, l’appel téléphonique ne sera plus autorisé. Cette évolution va profondément transformer les stratégies d’acquisition, renforçant le rôle de la génération de leads et rendant le coût d’acquisition client encore plus élevé. « Il va encore falloir plus chouchouter ton portefeuille client », souligne-t-elle.
Le second enjeu, qui entre en vigueur dès février 2025, concerne la régulation de l’intelligence artificielle au niveau européen. « La phrase à retenir, et malheureusement, elle est un peu vraie, c’est : les États-Unis innovent, la Chine copie, l’Europe réglemente », observe Caroline Adam. Cette nouvelle réglementation, qui s’étalera jusqu’en 2027, imposera aux entreprises de revoir leurs relations contractuelles avec leurs partenaires, fournisseurs d’IA et marques clientes. « Si toi-même, tu développes des outils, ça te met une obligation morale, contractuelle, juridique, éthique de respecter un certain nombre de choses », précise-t-elle. Les entreprises devront s’adapter à ces nouvelles exigences, notamment en signant des chartes éthiques en matière d’IA. Pour la spécialiste, une chose est claire : il est crucial de s’y préparer dès maintenant.
Par ailleurs, le SP2C interagit avec les politiques afin de trouver des compromis entre ce qui peut être acceptable ou non d’un point de vue aussi bien économique qu’en termes de liberté ou d’entraves au commerce concernant les réglementations.
Enfin, un dernier enjeu émerge : l’impact environnemental. « Il est essentiel que chacun prenne ses responsabilités », insiste Caroline. Conscients de cet impératif, ils ont publié l’an dernier un guide de bonnes pratiques environnementales, offrant des leviers concrets d’amélioration. Aujourd’hui, ils vont encore plus loin en développant un index sectoriel mesurant l’empreinte écologique des acteurs du marché. Plus que jamais, la RSE s’impose comme un pilier stratégique incontournable pour les entreprises.